Le poison du besoin de validation

Le poison du besoin de validation...par Éric Oumer

Pour illustrer ce titre dramatique, laissez-moi vous raconter une histoire...

Un jeune écrivain proposa le manuscrit de son premier roman à une grande maison d'édition. Un auteur célèbre de cette maison d'édition, qui fait ici office de lecteur, feuillette quelques pages de ce manuscrit, trouve qu'il contient "trop de duchesses" et participe activement au rejet du manuscrit par la maison d'édition. Déçu, le jeune auteur finit par publier à compte d'auteur son premier roman... "Du côté de chez Swann".

 Et oui, le jeune auteur c'était Marcel Proust, l'écrivain célèbre qui l'avait rejeté c'était André Gide, la maison d'édition c'était Gallimard et, au final, un des romans qui va contribuer à révolutionner la littérature moderne du 20ème siècle a été publié en auto-édition !

La juste attitude de l'auteur·e

J'ai toujours trouvé cette histoire fantastique car elle est emblématique et symbolise, pour moi, la juste attitude de l'auteur.

La raison pour laquelle j'ai décidé de vous communiquer cette réflexion est née d'un email reçu il y a quelques temps de l'un d'entre vous qui me disait qu'il allait enfin pouvoir envoyer son manuscrit à des maisons d'édition pour savoir... s'il valait quelque chose. Et vu la tonalité de l'email, il était clairement sous-entendu "si je vaux quelque chose en tant qu'auteur".

C'est probablement l'une des attitudes les plus mortifères que l'on puisse avoir dans son rapport à l'écriture et à son art.

La corrosion du doute

Il peut arriver qu'en tant qu'auteur·e, le doute permanent que nous portons sur notre travail nous amène à être envahi•e par le besoin de validation. Celui-ci peut se décliner vers différents destinataires : la famille, les amis, les pairs, les critiques littéraires et les maisons d'éditions. La plupart du temps nous saurons faire la différence entre les avis personnels de ceux qui nous sont proches et l'avis des professionnels. Mais ce discernement n'est qu'un leurre qui masque l'erreur fondamentale de croire que la validation de ce que nous produisons doit venir de l'extérieur. Car le test ultime que l'on peut faire avant même de solliciter les avis est celui-ci : si tous mes amis, ma famille, mes pairs, les critiques et les maisons d'éditions me disent que mon travail est nul qu'est-ce que je fais ? J'arrête ?

La vraie question à se poser

 Si vous répondez oui à cette douloureuse hypothèse, vous devez questionner votre besoin d'écrire. Sur quoi est-il basé ? Plaire à autrui ? Etre approuvé par le regard des autres ? Ou bien ce besoin provient-il d'une profonde pulsion présente en vous (ancienne ou récente) qui manifeste le désir d'exprimer votre créativité ?

 Dans ce dernier cas, la question de la validation par autrui devient instantanément inopérante et c'est tant mieux car c'est, au fond, une histoire entre vous et votre écriture et personne d'autre.

Vous êtes en très bonne compagnie...

Certes le fait que d'autres apprécient vos écrits est tout à fait agréable et une source de grand plaisir mais l'inverse ne saurait constituer un arrêt brutal de votre désir d'écrire et, de ce fait, vous ne pouvez pas baser votre décision de continuer ou pas sur ces "verdicts".

En cas de rejet de votre manuscrit, vous serez en très bonne compagnie, celle de la longue liste des auteur·es multi-refusé·es par les éditeurs, taillé·es en pièces par les critiques et qui finirent par devenir soit des monuments de popularité soit des auteurs primés (allant du Goncourt au Nobel) et parfois les deux. Je vous engage à faire sur ce sujet des recherches sur les refus ou les critiques émises sur (dans le désordre) Victor Hugo, James Joyce, William Faulkner, L.F. Céline, Agatha Christie, J.K. Rowling, Anne Gavalda, Rudyard Kipling, Anne Frank (son journal), Margaret Mitchell, Marcel Proust, John Le Carré, Stephen King, Michel Bussi, Joel Dicker, Julien Gracq, Bernard Werber, Romain Puértolas, etc.... On se sent mieux non ?

La meilleure période pour être auteur·e

A la lecture de cette liste, vous devez comprendre que beaucoup d'entre eux n'avaient aucune notoriété au moment d'essuyer ces refus et qu'ils ont juste continué d'écrire et de proposer leurs manuscrits jusqu'à ce que "ça passe". Il se trouve que notre époque rajoute une nouvelle option qui permet de passer par la fenêtre quand on nous ferme la porte au nez : l'auto-édition. A l'instar de Marcel Proust, précurseur de la chose il y a plus d'un siècle, l'ensemble de la panoplie de publication mis à notre disposition nous permet de rendre caduque toute idée de validation par autrui, nous laissant ainsi seul·e face à l'évaluation notre créativité.

Mais c'est peut-être de cela dont nous avons le plus peur, ne croyez-vous pas ?

Bien cordialement,

 

Eric Oumer 

www.ericoumer.com